Bee Suzuki: L'autoédition me rappelle le phénomène du rock indé à ses débuts

Avec Dites que je suis magicien, Bee Suzuki fait revivre ce père, proche du Milieu, qui lui racontait d'incroyables histoires de truands. L'occasion de raconter la vie d'une famille pas comme les autres, attachante et délicieusement malhonnête, où l'entraide, le silence et la connivence à la vie à la mort sont la règle.
Pour son livre comme pour le précédent, Bee a choisi l'autoédition, qui lui rappelle la grande époque des débuts du rock indé, quand les labels poussaient des cris d'orfraies et que de vrais talents naissaient du plébiscite public.

Bonjour Bee, votre dernier livre, Dites que je suis magicien, est l’histoire tendre et ironique d’une famille dont le patriarche est proche de la mafia. C’est un thème que vous connaissez bien pour l’avoir vécu de près. Comment vous est venue l’envie de l’écrire ?

J'ai eu envie d'écrire ce livre au moment de la disparition de mon père, dont les histoires ont rythmé mon enfance et mon adolescence. En France, d'ailleurs, on ne dit pas mafia, qui est le terme italo-américain pour désigner des familles dont le mode de vie s'inspire des cosa nostra et camorra Italiennes. On dit "le Milieu", comme si ce monde entre deux eaux, inventif et polymorphe, s'intercalait simplement dans les activités des gens ordinaires, dans toutes les strates de la société. Le cinéma en donne une image ultra-violente et assez caricaturale, alors que la violence n'est pas le seul monopole des truands.

Mon père gravitait autour du Milieu car il était décorateur et que les cabarets, les boîtes de nuit, les restaurants, les salles de jeux qu'il décorait appartenaient en général à des entrepreneurs d'un genre spécial. Mon enfance s'est passée à écouter ces histoires ahurissantes. Beaucoup de truands ont eu des vies remarquables qui seraient dignes de devenir de grands romans !

Pouvez-vous résumer l’intrigue en quelques mots ?

Une famille soudée par un genre de vie assez proche du Milieu affronte à sa façon la mort prochaine du pater familias, Max. Ce dernier a décidé de lancer dans la vie active son petit-fils et sa troublante fiancée qui lui proposent de participer à un dernier hold-up. Sur la route du retour, il disparait...

Ce portrait de ce clan attachant et délicieusement malhonnête renvoie chacun à ses propres secrets de famille. Chacun doit trouver sa propre voie dans un univers de mœurs hors-norme, où l'entraide, le silence et la connivence à la vie à la mort sont obligatoires.

Vous publiez aussi Un Dieu tout puissant, la traduction d’un livre que vous avez d’abord écrit en anglais. Son héroïne, Azahel, est une sorte de Miss Marple, née dans l’univers du rock des années 80. Parlez-nous un peu d’elle.

J'ai été une lectrice assidue de littérature policière anglaise. Il suffit de voir les retirages de ces romans nés dans les années 1930 pour constater que ce n'est pas un style littéraire mineur et qu'il compte encore des millions de fans. Le personnage central d'Un Dieu Tout Puissant est une jeune femme, Azahel Brun. Cette enquêtrice est franco-américaine, née à New York le 25 mars 1983 et élevée à Los Angeles dans le milieu du rock. Elle a vécu un mode de vie débridé, fait de drogue et de galères en tous genre, avant de devenir journaliste freelance.

J'aime la personnalité d'Azahel, futée, observatrice et optimiste, dotée d'une candeur qui l'empêche de voir le mal a priori, mais d'un imparable esprit logique, doublé d'une remarquable curiosité. Dans ce premier volume, on fait sa connaissance et on la voit résoudre plusieurs énigmes, dont celles de l'identité de son père et du meurtrier de sa mère, ce qu'elle ignorait jusqu'à lors. Le petit plus : dans cet épisode Azahel rencontre l'homme de sa vie.

Un Dieu tout puissant est le premier épisode d’une série. Avez-vous déjà cerné le thème du deuxième ?

Le deuxième volume de la série des Azahel est en cours, c'est... difficile d'en parler. Tout au plus quelques mots : Magick, neige, bus, désert californien, chantage, festival de rock, humour, mystère, meurtre, palmiers, étonnant secret... Bon, avec ça... ça nous laisse un peu de marge pour en parler quand il sortira !

Quelle place prend l’écriture dans votre vie ?

Dès que j'ai su écrire j'ai créé des livres en collant des images en face de mes mots. J'ai tenu des kilomètres de logbooks et de journaux intimes. J'ai travaillé dans l'édition d'art et l'on m'y a proposé d'écrire pour certaines personnes. Ce que j'ai fait avec reconnaissance car c'est ainsi que j'ai vu mes propres mots imprimés, et même si mon nom figurait en corps 2,5 dans les crédits, c'était la plus belle des récompenses.

Plus tard je suis devenue journaliste, ce qui est une bonne école pour apprendre à faire, refaire, défaire et réécrire encore, sans se vexer et sans susceptibilité déplacée. J'ai écrit plusieurs romans, dont l'un se passe en partie à Taïwan, où j'ai fait des études. En général, tout ce que j'ai vécu, tous les endroits où j'ai trainé, finissent par se retrouver dans mes livres. Le pire de l'existence comme le meilleur !

Quels sont les auteurs qui vous ont inspirés ?

La liste est très longue parce que je lis beaucoup. Ma première émotion vraiment littéraire vers 8-10 ans, qui m'a laissé penser qu'un jour je pourrai écrire, c'est un écrivain de langue française, c'est Colette. Et un des premiers écrivains avec lequel j'ai compris le sens de l'architecture d'un roman, c'est Steinbeck.

Ma plus importante rencontre c'est Jim Harrison, que j'adore, à une signature à Paris chez Page 189, près de la Bastille. Il était content de parler anglais avec quelqu'un parce que depuis des heures il signait à tour de bras des piles de livres. Du coup, on a bu un petit verre de rouge en blaguassant, il m'a offert et dédicacés deux bouquins et m'a donné de bons conseils. Pour l'une des dédicaces, il a écrit : " May your novel sell 100 000 copies ! Yours, Jim" . C'est un joli souvenir d'un immense auteur.

Pourquoi avez-vous choisi l’autoédition ?

Cela fait vingt ans que je travaille dans, par, et pour l'édition. Qu’il s’agisse des livres de cuisine, des romans ou des livres illustrés de tous les genres et de toutes les tailles, une chose est sûre et il faut le dire sans fard: l'édition traditionnelle ne peut plus absorber le nombre effarant des envois spontanés de manuscrits. Il faudrait une armée pour les lire tous avec l'attention qu'ils méritent. La sélection se fait au mieux au coup de cœur et par heureux hasard, en général selon les lignes établies par le service marketing, au pire par "recommandation".

L'autoédition, c'est un peu le même phénomène que le rock indé à ses débuts : les gros labels ont poussé des cris d'orfraies, mais de vrais talents sont nés du plébiscite public et ont ensuite signé avec les même gros labels ! L'autoédition permet à chacun d'avoir sa chance, on l'a vu avec Les gens heureux lisent et boivent du café de Agnès Martin-Lugand et avec des auteurs comme Jacques Vandroux qui écrivent avec talent et sincérité. Je trouve ce système sain et égalitaire. Cela ne lèse personne et nous donne un peu d'air frais.

· Vous avez traduit vous-même votre livre car vous êtes bilingue. Mais vous avez fait appel aux services d’un correcteur et d’un graphiste pour la couverture. Pourquoi pensez-vous qu’il est important de faire appel à des professionnels ?

C'est important, par respect pour le lecteur. C'est irremplaçable parce que le correcteur peut pointer des incohérences, des anachronismes, des fautes de construction, de syntaxe. Même à peu près bilingue, je ne me sentirais pas tranquille de laisser partir un livre en anglais sans que mon proofreader, ne l'ait corrigé ou que ma relectrice française n'aie remis d'aplomb des tournures parfois bizarres. C'est un bon investissement, car si l'on choisit l'autoédition, il faut être professionnel. Et même en faisant attention, il arrive que des coquilles passent à travers les mailles !

Pour les couvertures, un graphiste ou les services du studio d'Iggybook sont indispensables, pour être visibles. Tout cela se chiffre, mais ce sont de bonnes dépenses.

Pourquoi avez-vous choisi de publier vos livres avec Iggybook ?

Un de mes amis me l'avait recommandé, et m'avait parlé du travail de fond d'Iggybook vers les nouveaux auteurs et les auteurs indés. Le service offert par Iggybook à ses auteurs est très important, car ce package permet de matérialiser une identité d'écrivain, de communiquer, de rencontrer d'autres romanciers, de s'insérer dans une dynamique. Vous le savez, l'isolement, le découragement et le temps qui passe ont souvent raison des littérateurs. L'écriture est l'un des beaux-arts mais c'est un domaine où l'artiste ne peut exposer seul son œuvre ni exister, sans le concours d'un éditeur et d'un imprimeur. Et si les éditeurs sont débordés... Avec Iggybook, cette fatalité s'efface pour laisser place à la créativité et à la liberté. De grands auteurs vont naître ainsi et on peut en être fier.


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