Jonathan Delage nous livre les secrets d'écriture de son nouveau roman : Wake up Little Suzie

1. Pouvez-vous nous résumer votre roman en quelques phrases ?
L'histoire se passe en Arkansas, en 1957. Un lycée de Little Rock décide d'ouvrir les inscriptions scolaires aux afro-américains pour la première fois. État ségrégationniste, de violentes émeutes éclatent et une famille noire décide de migrer vers un coin plus calme pour leur sécurité. Elle intègre donc Hillsboro, une petite ville en pleine quiétude. Les vacances d'été battent leur plein et le fils de cette famille intègre un groupe de jeunes du même âge qui passent leur journée en haut d'une colline qui surplombe la ville. Tout se passe bien jusqu'au jour où l'un d'eux disparaît. La mort frappe toujours là où on ne l'attend pas. Même en l'affrontant à plusieurs, personne n'en sort jamais indemne.
Sur fond de naissance du rock'n'roll et de romance, il s'agit d'une aventure au cœur des fifties qui vous emmènera là où vous ne l'auriez pensé.

2. Pourquoi avoir choisi l’Amérique des années 50 comme cadre pour votre histoire ?
C’est une période que j'aime beaucoup. À mes yeux, c'est une décennie qui a contribué formidablement à l'Histoire des Etats-Unis. Et ce, à tous les niveaux. Elle marque un changement dans les mœurs. Nous sommes dans l'après-guerre. On assiste à une ouverture d'esprit, légère il est vrai, mais qui débouchera sur de grands chamboulements. On y jette notamment les bases d'une reconnaissance des afro-américains comme individus ayant des droits. On assiste à une révolution musicale avec la naissance du rock'n'roll. À l'époque, un style musical qui dénotait d'une différence entre l'ancienne et la nouvelle génération. Les adolescents, qui commençaient à se sentir incompris, lui conférait un pouvoir de rébellion. Il y avait une forme d'innocence et de pureté dans cette jeunesse, contrairement à leurs parents qui s'accrochaient vaillamment à toutes sortes de préjugés. Avec le recul, je pense, mais c'est un avis purement personnel, que c'est cette génération qui a commencé à faire bouger les choses. Ce sont eux qui ont commencé à penser par eux-mêmes et à remettre en cause les idées préconçues des anciens. Ils ont débuté ce long cheminement que les progénitures suivantes ont poursuivi. Et puis, c'est à cette époque que « voient le jour » les icônes glamour en tout genre, d'Elvis Presley à Marilyn Monroe en passant par Marlon Brando et James Dean. Des personnalités, qui encore aujourd'hui, véhiculent une image. Selon moi, les années 50  sont les années qui incarnent le mieux ce que l'on a coutume d'appeler « le rêve américain ». Autant de changements culturels, politiques et économiques sur une si courte période offre presque un sujet d'étude sociologique. Une foule de modifications dans les habitudes des gens a de quoi déstabiliser. Un vrai vivier pour la création de profils psychologiques. Une telle histoire n'aurait pu avoir lieu dans les années deux milles.

3. À qui s’adresse votre livre ?
Je dirais toutes tranches d'âge de douze ou treize ans à 90 ans. Il y a plusieurs degrés, à ce bouquin. Il est rédigé sous forme de flash-back et se compose de deux parties. Le début et la fin se déroulent à l'époque actuelle, alors que l'histoire centrale plonge dans le rétroviseur du vieil homme assis, au temps où lui et ses amis étaient dans leur douzième année. Étant donné que les protagonistes entrent dans l'adolescence, les dialogues sont adaptés et peuvent être compris de tous. Les questions et réflexions sur la vie sont posées... L'avenir, l'amitié, l'amour, la mort, la famille, les préjugés notoires... Les plus âgés d'entre nous y trouveront un second degré, voire un troisième.
Les questions philosophiques y sont présentées sous les deux formes : la vision que peut avoir un  adolescent et celle d'un adulte aguerri, voir un adulte à l'automne de sa vie. On y découvre que les perceptions y sont différentes, mais que si certaines choses changent, d'autres restent. Chaque personnage central y a une personnalité qui lui est propre dans une large gamme des possibles, de sorte que chacun des lecteurs peut s'identifier à l'un d'eux. Une intello qui a des lectures d'un autre temps, un introverti, un extraverti, un torturé et une en manque de reconnaissance. Le tout mélangé dans un petit groupe qui donne une synergie et de la vie au roman. On peut prendre celui-ci comme un livre d'aventure, comme un livre d'ambiance voir comme un drame romantique. Chacun des lecteurs le classera dans la catégorie qu'il souhaite. Les avis divergent fortement quant à celle-ci.

4. Quels sont les auteurs qui vous inspirent ou que vous considérez comme vos modèles ?
Étrangement, je lis  peu de romans, (le « peu » restant relatif). Si je devais en citer un qui remporte toutes mes faveurs, mon choix se porterait sans aucune hésitation sur Michaël Connelly.
Il ne s'éparpille pas. Il est parvenu à faire « naître » un personnage, Harry Bosch, et à lui donner vie presque quotidiennement sans jamais se répéter. Bosch a un vécu. Du premier au dernier volume sorti, son histoire est présente. Ce qui lui confère un profil et une personnalité si pointue que l'on a du mal à imaginer que ce soit une personne fictive. J'ai beaucoup d'admiration pour la construction de ce personnage. Sans parler du suspens qui densifie les livres. Vraiment, Connelly est un maître en la matière. J'aime par ailleurs aussi beaucoup David Baldacci.  Après viennent d'autres pointures : par exemple James Paterson ou John Grisham dont je suis un peu lassé aujourd'hui mais qui a longtemps occupé mes soirées. Cependant, mon créneau de lecture se situe ailleurs.

5. Parlons de vous : depuis quand écrivez-vous ? Quelle a été votre source d’inspiration, l’événement qui vous a poussé à écrire ce livre ?
J'ai une passion pour William Blake, que j'ai justement découvert lorsque j'avais une douzaine d'années. Faire sa connaissance m'a dirigé vers des portes entrouvertes que j'ai poussées autant par curiosité que par plaisir. Je suis fasciné par sa vision des choses, par cette poésie dans le quotidien. Je suis subjugué par ces gens, ces poètes, qui mènent une existence de questions et qui, malgré la souffrance que cela leur inflige, parviennent à trouver le salut dans l'encre ou dans la pointe de la plume et par-delà trouver la force de résister. Je suis très sensible également à la forme de poésie dont Patti Smith fait preuve. J'ai coutume de dire que s'il m'était donné de discuter une heure avec elle, je ne lui parlerais pas musique, mais littérature. J'écris depuis la même époque. J'avais des cahiers scolaires au fond d'un tiroir que je remplissais de phrases qui me semblaient pertinentes à l'époque et dénuées de sens aujourd'hui. J'ai pourtant noirci un nombre incalculable de pages. Cela me faisait du bien. Blake influençait le contenu, je m'occupais de la forme. Mais je pense surtout que l'écriture, sous quelque forme que ce soit s'immisce en vous à la naissance. Vous ne savez pas pourquoi, mais vous savez que c'est vital pour vous. Comme respirer.
Par la suite, en grandissant, les phrases ont pris une tournure plus poétique. À ne pas confondre avec la poésie scolaire devenue indigeste pour les élèves d'aujourd'hui. La technologie a fini par remplacer les cahiers et un blog a vu le jour. Avant d'être à son tour remplacé par l'actuel. Chaque période de ma vie s'est accompagnée d'un support sur lequel écrire, et la plume a vieilli, grandi avec moi. Aujourd'hui, même s'il reste ma référence, les phrases Blakéennes ont été remplacées par des billets d'humeur, des nouvelles et des bouquins. D'autres écrivains ont été ou continuent d'être des modèles d’expression. En vrac, Yeats, Pessoa, Musset, Sand et évidemment toute la Beat Generation... De telles personnes offrent une autre vision des choses. Ils apportent, par ces pensées d'autrefois une incroyable modernité et une fabuleuse poésie contemporaine à la perception des choses les plus simples. Je le dis souvent mais l'écriture, c'est le canadair nécessaire à l'extinction du brasier que sont mes pensées et idées. Je ne peux pas mieux dire.

6. Pourquoi avez-vous choisi l’autoédition ?
J'ai une conviction. Bien qu'il soit indispensable de respecter les fondements orthographiques, grammaticaux et narratifs de la langue dans laquelle on écrit, je suis  convaincu que l'écriture est une expression illimitée. Lorsqu'ils sont écrits librement, les mots deviennent légers et permettent d'emporter dans leur vol le lecteur là où lui  seul décidera de s'échouer pour un moment hors du temps. Je pense que si l'auteur écrit librement, le lecteur lit sans entraves. Sans les contraintes qui lui rappellent les livres lus sur les bancs d'écoles et que la majorité des élèves considèrent comme une corvée.  L'autoédition permet cette liberté de façon plus large. C'est un procédé plus conciliant qui permet une plus grande variété dans les conceptions des livres.
Écrire, c'est rêver. C'est faire rêver. Peut-on formater un rêve ? Sans doute. Celui-ci aura-t-il la même portée ? Peut-être. Mais écrire, c'est aussi faire ressentir certaines choses, et l'intensité est différente si elles sont livrées telles qu'elles doivent l'être. L'autoédition  permet cela plus facilement.
À terme, elle empêche de tourner en rond.

7. Quels sont vos prochains projets d’écriture ?
Le roman suivant est en bonne voie. Je pense en avoir écrit la moitié et sera très différent. Dans l'époque, dans le genre et dans la conception. Le style, quant à lui, est fidèle. Celui de Wake up Little Suzie est probablement quelque chose qui m'est propre. On ne change pas  ce qui est en nous. La trame d'un prochain livre est en train de voir doucement le jour. Parallèlement au roman, je continue à écrire sur mon blog. Des billets d'humeur, des conversations avec une l'une ou l'autre personnalité, des coups de cœur. Je déborde d'idées.

 
 

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