Quelques questions à Deux Cent Cinquante Et Un

Le Pourquoi ? est au centre de toute la réflexion que mène Deux Cent Cinquante Et Un dans ses deux derniers romans, Le Désert et L'Isolement ultra-connecté. Pourquoi devons-nous réagir ou être passif à l’inverse devant telle situation ? Pourquoi les faux-semblants ? Pourquoi le besoin du pouvoir ? Pourquoi cet ego qui nous dirige que trop alors qu’il ne devrait être qu’une petite partie de tous nos sens, à notre service, et non l’inverse ?

Cette interview détaillée nous aide à comprendre sa démarche et bien sûr nous laisse sur notre faim ... Il nous reste plus qu'à nous plonger dans leur lecture ! 

1) Vos deux livres sont radicalement différents, qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur des sujets si variés ?

Mes livres me sont inspirés de ma vie, de mes expériences, de mes douleurs et de mes joies et surtout de mes rencontres, qu’elles soient directes ou via d’autres livres. Ils sont aussi et surtout un moyen de transmettre ce en quoi je crois : l’humain !

Le sujet de tous mes romans est toujours l’humain. Les thèmes sont si vastes lorsque l’on considère cet assemblage étrange et difforme, cette union d’un corps, d’un esprit, d’un cœur, d’un ego et des décisions qu’il prend, autant d’illusions qui nous éloignent de nous-même.

J’écris un roman non pour l’histoire, que je ne connais que très peu à l’avance, un peu pour le ou les personnages et le contexte dans lequel ils évoluent, mais surtout pour le thème qui en est la trame. Le thème est parfois philosophique, parfois sentimental, parfois psychologique… Mais toujours la même question : Pourquoi ?

Pourquoi devons-nous réagir ou être passif à l’inverse devant telle situation ? Pourquoi les faux-semblants ? Pourquoi le besoin du pouvoir ? Pourquoi cet ego qui nous dirige que trop alors qu’il ne devrait être qu’une petite partie de tous nos sens, à notre service, et non l’inverse ?

Et comme je souhaite que cette question intéresse, je la transpose dans un univers qui me permette de la laisser s’épanouir, se torturer, se libérer devant les yeux du lecteur.

Cette question de l’humain est une question fondamentale pour moi. Il m’aura fallu des années pour comprendre à peu près pourquoi je me sentais si différent et mis à part de la plupart des communautés. Et cette expérience vécue dans ma chair m’a conduit à me poser des questions, avec empathie, sur ceux qui m’entourent ou que je ne connais pas. Pourquoi ?

2) Parlez-nous de l’univers que vous avez créé dans votre livre L’Isolement ultra-connecté, quelle a été votre source d’inspiration ?

L’idée de départ a été d’imaginer une situation un peu futuriste, mais pas trop (je pourrais dire au mieux « un roman d’anticipation ») où la technologie a permis à l’humanité de créer une puce électronique connectée avec le cerveau. Cette puce a pour fonction de bannir les incompréhensions, en transmettant un signal de qualité, pur, où il n’y a pas de parasite, entre deux individus.

Un monde idéal en quelque sorte où la communication est « parfaite », et du coup les conflits personnels et même les guerres sont bannis.

Idéal ? Peut-être pas… Et c’est là que le livre commence… Un simple dysfonctionnement d’une puce, et tout bascule ! Tout se dévoile… Ce monde idéal n’est qu’apparence, une tromperie. Même « le centre », ce lieu dédié au soin des personnes atteintes d’un trouble avec ces puces, est à l’extérieur de la cité, loin, retiré, à l’écart. En quelque sorte, les « malades » sont comme les lépreux d’autrefois. A la différence près qu’ils sont redevenus « humains », puisque devant utiliser le langage vocal et non synthétisé. Et cet éloignement fait du « centre » le point névralgique de toute la société, le cœur du roman.

L’inspiration d’un tel monde se trouve partout autour de nous : les systèmes chargés de servir les besoins fondamentaux des humains sont à 90% informatisés, sans décision humaine, conduisant à des incidents, certes peu nombreux, mais catastrophiques pour ceux qui les subissent ; dans beaucoup de situations, nous ne sommes plus un être de chair et de sang avec des émotions mais un simple numéro, un badge et une rentabilité. On pourrait faire le lien avec la série « le prisonnier » et sa célèbre phrase « Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre ! ».

Et pourtant, l’humanité, depuis ses débuts, n’aura sans doute jamais été aussi reliée. Nous pouvons discuter en direct avec quelqu’un à l’autre bout de la planète. La planète se rapetisse sous nos yeux.  Et nous en faisons quoi ? Des « +1 », des « like » … Et sinon, à part cela ? Bien sûr, rien n’est tout noir ou tout blanc, tout est gris clair et gris foncé…

3) Peut-on faire un parallèle avec le développement fulgurant des nouvelles technologies aujourd’hui ?

Évidemment, le fond technologique est là, et je le connais. Ce monde n’est pas si loin de nous, compte tenu des avancées technologiques : il y a déjà des puces qui permettent de redonner un semblant de vue ou d’ouïe, les recherches sur la pensée sont nombreuses et la technologie de la sémantique – le big data – n’en finit pas d’avancer à grand pas.

Les réseaux sociaux, censés rapprocher les gens, tendent à finalement les « déconnecter » du réel. Quoi de pire que de voir deux personnes se parler par tchat interposé, alors qu’elles sont à dix mètres physiquement l’une de l’autre ?

La sémantique (le big data ou l’analyse de données de masse) conduit à des résultats extraordinaires, mais aussi à des dérives de plus en plus importantes. L’outil n’est pas à blâmer. Ce serait comme regretter le temps où nous n’avions pas de téléphone ! Mais l’usage et surtout son détournement non souhaité, non contrôlé est un problème. Aujourd’hui, de par nos achats sur internet, nos visites sur des sites, nos courses dans un magasin avec une carte de fidélité, nos passes magnétiques pour utiliser les transports, tout ceci constitue une masse d’informations qu’il est possible d’exploiter pour nous influencer. Pour le moment, le principal moteur est l’argent, à savoir provoquer l’achat. Mais demain ? Qu’en sera-t-il ? Ne voit-on pas déjà des détournements au niveau de la politique, ne serait-ce que par l’usage de sondages pour piloter son action ou son discours ?

La technologie, je connais. Elle n’est ni bonne, ni mauvaise. Tout comme la découverte de l’énergie atomique nous a fait faire des bons en avant, elle nous a aussi causé Hiroshima et Nagasaki. La découverte de la chimie nous a apporté le pire avec le gaz des tranchées, et le meilleur avec des produits que nous utilisons tous les jours. De même dans toutes les sciences…

Je ne suis donc pas un « contre » la technologie, mais plus pour une « réflexion » sur son usage, un peu comme les traités de non-prolifération des armes chimiques, biologiques et nucléaires.

4) Quel serait le message de ce livre ?

L’idée de départ était les mensonges, les faux-semblants, la manipulation mentale que l’on exerce sur les autres ou que l’on subit. J’ai décidé, pour lui donner une envergure de la transposer technologiquement en lui donnant l’apparence d’un progrès pour mieux décortiquer les effets secondaires, et même la manipulation de masse.

Le sujet est si vaste, que trois tomes auront été nécessaires pour couvrir l’histoire et ses rebondissements possibles, toujours au service de ce thème : la liberté de penser, la liberté d’expression sont-elles aliénables au nom de la sécurité civile ?

La question est posée, le livre (les livres si l’on considère la trilogie) tente d’apporter un début de réponse.

Mais je ne suis pas de ceux qui assènent un message, comme un prophète ou un gourou, ou quelqu’un qui croit tout savoir. Bien au contraire, je sais que je ne sais rien, pour reprendre une fameuse phrase du philosophe Socrate. Tous les jours, j’apprends et je change d’avis lorsque de nouveaux éléments m’ouvrent les yeux sur une situation ou un contexte que je ne connaissais pas avant.

5) Dans votre roman Le Désert votre personnage principal est exilé dans le désert et nous raconte sa lutte pour survivre. Un évènement de votre vie a-t-il influencé ce récit ?

Oui, une séparation brutale avec la muse de ma vie… Et je me suis retrouvé psychologiquement dans un désert, sans comprendre pourquoi cet isolement, ce bannissement, tout comme le personnage. Et de là, j’ai, encore et toujours, essayé de comprendre « pourquoi », mais aussi « comment m’en sortir ».

La traversée du désert, cette expression bien connue, a été le point de départ du roman. Je ne savais pas du tout où j’allais, tout comme le personnage. J’avançais, mi onirique, mi ultra réaliste, dans une description détournée des tourments d’un individu. Petit à petit, ce livre m’a conduit à envisager une autre voie, celle du pardon et de la compassion. Ce voyage fut un voyage intérieur, où les abris, et en particulier celui où le personnage reste le plus longtemps, sont en miroir des pages que j’écrivais, sur mon ordinateur, cette boîte qui me protégeait du monde extérieur…

6) Les sensations ressenties par le personnage sous cette chaleur écrasante du désert sont décrites avec précision tout au long de son voyage, comment avez-vous fait pour vous mettre dans la peau du personnage ?

Je ne suis jamais allé dans un désert. Au mieux, j’ai connu quelques chaleurs sur des plages de sable sur les côtes océanes, rien de plus. Mais j’ai vécu longtemps près de l’océan, et du sable. Mon enfance fut proche de ce désert aquatique aux abords ressemblant à un vrai désert, la plage.

Je pense que mes sensations d’enfance m’ont permis de me projeter dans ce monde extrême, l’imagination faisant le reste. Je me suis plongé dans les sensations de tout mon être. Il fallait que l’individu soit confronté au pire, de tout son corps, de tout son esprit, de tout son cœur ! J’étais dans la même situation, transposée. Il ne m’a fallu donc que d’imager cet état en le situant dans une réalité possible, sans avoir à décrire la réalité d’origine.

Enfin, la lecture du cycle de « Dune » de Frank Herbert, qui est une référence absolue en tant qu’auteur de romans pour moi, de par sa richesse humaine, a sans doute influencé quelque peu mon appréhension de ce milieu hostile.

7) À aucun moment nous ne connaissons le nom du narrateur, y-a-t-il une raison à cela ?

On ne sait presque rien du narrateur. Même son histoire passée est quasiment vide pour le lecteur, à peine quelques repères compréhensibles et qui permettent de donner corps à sa souffrance physique et la raison de sa perdition dans ce désert.

Le nom n’a aucune importance, surtout dans ce livre. Il s’agit d’un voyage intérieur pour moi, simulé par un voyage extérieur pour le narrateur, progressant à son tour dans un voyage intérieur lui-même, une mise en abime. Tout comme le livre dans le livre est une autre mise en abime. Si j’avais pu, je ne lui aurais même pas donné de genre, mais c’était trop compliqué, j’ai donc choisi le plus simple pour moi : un homme. D’autres romans prennent une héroïne pour personnage central, ce n’est donc pas un choix définitif. Mais celui-ci était très personnel, donc il ne fallait pas qu’il soit trop éloigné pour que je puisse continuer à m’identifier à lui, tout comme le lecteur pourrait le faire.

Une autre raison aussi couvre ce choix, que j’ai compris plus tard : je crois qu’il n’y a pas un auteur, mais deux, l’auteur lui-même puis le lecteur. En lisant un livre, le lecteur projette bien plus de lui qu’il ne peut le faire en regardant un film où le point de vue du cinéaste est en quelque sorte imposé. Le lecteur, comme face à un tableau ou une sculpture, met de lui-même dans son chemin au travers des pages. Ainsi, ne pas donner un nom favorise dans cette histoire l’appréhension et la projection du lecteur. D’ailleurs, dans le livre « L’isolement ultra-connecté », c’est à peine si l’on connait également le nom du personnage. Il prend un nom d’emprunt, tiré d’un livre qu’il a lu au « centre », pour les mêmes raisons.

8) À quel public de lecteurs s’adresse votre roman ?

Mes deux romans sont a priori destinés pour un public assez large, mais avec un niveau de maturité suffisante pour appréhender une lecture au-delà de la simple histoire racontée. Ce ne sont pas des romans « d’intellectuels », même si l’intellect, la réflexion, les questionnements sont sous-jacents tout le temps, car l’histoire essaye de porter le thème de manière détournée. Ce sont des romans, non des essais philosophiques, même si l’intention serait de permettre à chacun de faire un bout de chemin.

Je me plais à penser que j’entrouvre des portes, laissant à chacun le choix de passer au travers, ou de les ignorer, à sa guise.

Ils peuvent être lus comme de simples romans, avec des tensions, des rebondissements, mais aussi comme une vision d’un monde plus humain in fine, si on le veut bien.

En résumé, ces livres sont pour tout le monde, de l’adolescence à l’âge de nos ainés, femmes ou hommes, de n’importe quels horizons, puisque le contexte est imaginaire, bien qu’ancré dans une forme de réalité pas si éloignée de nous. Ce sont des voyages proposés, une invitation à se poser à son tour la question : Pourquoi ?


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