Suite au post de la semaine dernière sur la précarité des auteurs sous contrat d’édition que vous avez été nombreux à lire, nous abordons cette semaine les revenus des auteurs auto-édités.
Quelles ventes pour les succès d'auto-édition ?
Les quelques articles disponibles en ligne citant les ventes des bestsellers affichent des chiffres similaires : une « star » de l’auto-édition en France vend plus de 10 000 exemplaires de son livre, et même parfois 20 000.
Note : tous ces chiffres sont issus d'articles écrits parfois il y a plusieurs mois, il est possible que depuis leurs ventes soient nettement supérieures. Il est assez difficile d'obtenir des informations précises donc si vous êtes vous-même auto-édité, n'hésitez pas à laisser un commentaire avec vos chiffres pour multiplier les exemples et informer la communauté d'auteurs.
Le 25 décembre 2012, Agnès Martin-Lugand publia sur Amazon son livre Les gens heureux lisent et boivent du café qui va connaître un vrai succès en auto-édition et atteindre 10 000 ventes. Elle sera ensuite signée par Michel Lafon.
La même année vit apparaître un autre auteur de polars qui va trouver son public grâce à l’auto-édition et KDP, Jacques Vandroux, dont le livre phare, Les pierres couchées, avait vendu 11 000 exemplaires en janvier 2014. Le livre a depuis dépassé les 20 000 ventes. Le suivant, publié en 2013, Au coeur du solstice, a atteint 15 000 téléchargements. Son dernier livre, Projet Anastasis, était déjà à 11 000 exemplaires en janvier 2015 et il est désormais au-dessus de 20 000.
En 2013, Alice Quinn atteint, elle, la 1ère place des ventes sur Kindle avec Un palace en enfer qui était à 15 000 exemplaires en mai 2014, et qui a depuis dépassé les 20 000 ventes.
Quant à l’auteur emblématique du moment, Aurélie Valognes avec Mémé dans les orties, elle a donné ses chiffres de ventes dans plusieurs interviews, annonçant 8 500 téléchargements en octobre 2014, 11 500 en décembre 2014 et 25 000 en mars 2015.
Attention, ne sont listés ici que des auteurs ayant réussi à percer, mis en avant par Amazon et repris dans les media. Ils représentent la partie visible de l'iceberg sur une base élevée (entre 50 et 100 000 auto-édités sur KDP). Nombre d'auteurs n'ont pas dépassé les quelques dizaines de ventes.
Combien de livres vendent les auteurs d'éditeurs traditionnels en numérique ?
Il est intéressant de comparer ces ventes d’ebooks avec celles des auteurs édités.
Les auteurs « stars » peuvent dépasser 30 000 ventes sur un livre, mais ils doivent se compter sur les doigts d’une main (ou deux) depuis les débuts de l’ebook en France. Une réussite pour un éditeur est lorsqu’il dépasse 10 000 ebooks vendus. Ce sont des livres ayant connu un vrai succès en papier, les livres emblématiques de la rentrée ou des vainqueurs de prix littéraires, des essais événements soutenus par les media, des séries adaptées en blockbusters sur les écrans ou des auteurs de bestsellers vendant plus de 100 000 livres en papier.
Les auteurs connus du grand public vendent quelques milliers de livres, mais la plupart du temps les ebooks vendent quelques centaines d’exemplaires lorsqu’ils sont publiés par les grands éditeurs ayant pignon sur rue et très souvent quelques dizaines, surtout sur les titres de fond.
En faisant un parallèle avec les ventes papier, une nouveauté bien lancée (roman ou essai) par son éditeur et qui trouve son public fera environ 10% de ses ventes en numérique. C’est une règle générale, sur de la littérature de genre (polar, fantasy, romance) ce taux peut monter au-dessus de 30%, sur des textes très littéraires il retombera entre 2 et 5%, et à moins de 1% pour l’illustré, le pratique, la jeunesse ou les sciences humaines. A noter aussi que le numérique concentre ses ventes sur les premières semaines de vente du livre, donc ce taux sera plus élevé au début puis descendra ensuite progressivement.
Auto-édition et édition traditionnelle, quels revenus numériques ?
Le marché de l'auto-édition a ses règles, notamment au niveau du prix de vente. Sans surprise, les auteurs à succès ont vendu leur livre à 2,99€, voire même à 0,99€ au moment du lancement pour Agnès Martin-Lugand. Si vous lisez l'anglais, une analyse intéressante fut publiée en mai 2013 par le responsable de Smashword, le leader de l'auto-édition aux Etats-Unis. Elle date un peu et rien ne prouve que la règle soit identique sur marché francophone, mais elle démontrait que 0,99€ / 2,99€ / 3,99€ étaient les 3 prix les plus populaires auprès des lecteurs.
Si l’auteur vend directement son livre via KDP, Kobo Writing Life ou sur l’iBooks Store il touchera 70% du prix de vente HT. Donc pour un livre que vous vendriez à 10 000 exemplaires :
- en auto-édition, avec un livre vendu 2,99€ vous toucherez 19 779€.
- sur une nouveauté éditée à 15€ en papier, le prix numérique sera autour de 10,50€ et vous toucherez 7 938€ avec un taux de 8% et 9 922€ avec un taux de 10%.
- en poche, sur un livre édité à 7€ en papier et en numérique, avec un taux de 5% vous toucherez 3 307€.
Ceci en partant du principe que dans tous les cas vos lecteurs achèteraient le même nombre de livres quel qu'en soit le prix. Or comme le démontre l'étude Smashword citée ci-dessus, le prix de vente est un critère important d'achat en ligne. C'est encore plus vrai pour les auteurs inconnus, les lecteurs se laissent plus facilement tenter par un livre d'un auteur qu'ils ne connaissent pas à 2,99€ qu'à 15€.
Les éditeurs pourront à raison défendre le fait qu'ils vendent du papier, que l'essentiel du marché se fait encore sur ce support et que les espérances de ventes et de revenus sont donc potentiellement plus élevées dans un contrat d'édition.
Le but de ces calculs n'est pas de remettre ce postulat en cause, mais de montrer qu'aujourd'hui un auteur auto-édité peut vendre en numérique autant qu'un auteur édité, et qu'il touchera plus de revenus.
La signature d'un éditeur ne garantit pas de toute façon le succès. Michel Lafon, qui surfe sur le créneau de l'auto-édition et a édité en papier Agnès Martin-Lugand, Alice Quinn et Aurélie Valognes l'illustre parfaitement : Les gens heureux lisent et boivent du café a vendu 300 000 livres, mais ceux d'Alice Quinn (sorti en janvier) et d'Aurélie Valognes (sorti en mai) ne sont pas pour le moment sur la même tendance, même si ce n'est que le début. C'est différent de vendre un livre papier à 17€ en librairie et de vendre un ebook à 2,99€ sur Kindle...
Prix numérique : auteurs et éditeurs, des intérêts divergents ?
Un aspect intéressant de l'auto-édition numérique est de pouvoir choisir un prix relativement bas. Votre intérêt en tant qu'auteur est de vous faire connaître d'un maximum de lecteurs qui pourront alors acheter vos autres livres. C'est là que les intérêts des éditeurs et des auteurs divergent.
Sur une nouveauté un éditeur fixera généralement le prix de l'ebook à -30% par rapport au prix du livre physique, soit en moyenne entre 10 et 15€. En poche (presque) aucun éditeur ne propose un livre numérique moins cher que le papier, au mieux ils s'alignent, au pire ils le mettent à 50% plus cher pour éviter la cannibalisation d'un segment de marché extrêmement rentable. L'ebook n'étant perçu que comme une excroissance du papier qui représente encore l'essentiel de leurs ventes, la plupart des éditeurs le commercialiseront toujours à un prix élevé, calculé sur un prix de revient du papier, au nombre de pages, ce qui n'a aucune logique sur le numérique et ne prend pas en compte les spécificités de ce marché.
Or le business model est totalement différent :
- Sur un livre papier, il existe des coûts variables en fonction des ventes. Si les coûts baissent en fonction des volumes, une partie reste incompressible, il faut des arbres à transformer en papier et fabriquer les livres un par un. Les coûts de distribution aussi sont élevés, il faut stocker les livres, les acheminer chez tous les libraires de France, puis reprendre les invendus et les mettre au pilon.
- En numérique, l'ebook est fabriqué une seule fois. Ensuite, un exemplaire unique va être déposé sur chacune des principales plateformes (Amazon, Apple, Kobo, Google + l'entrepôt numérique du diffuseur pour les libraires français) qui prennent en charge la distribution à chaque client. Les 4 librairies américains représentant 90% du marché, les diffuseurs n'ont aucun coût de distribution sur l'essentiel de leurs ventes en dehors de la livraison initiale de l'ebook.
Plus simplement : pour 1 000 € de revenus, vous avez intérêt à vendre 200 ebooks à 5€ quand l'éditeur a intérêt à en vendre 50 à 20€. Dans le premier cas vous aurez eu 4x plus de lecteurs et perçu 661€ de droits d'auteur en auto-édition alors que dans le deuxième cas vous aurez perçu 75€ et il y aura moins de personnes susceptibles d'acheter votre prochain livre.
En résumé...
Que ce soit via l'auto-édition ou l'édition traditionnelle, un succès numérique est au-dessus de 10 000 exemplaires vendus. Quelques stars de l'édition vont plus haut, mais le jour où l'une d'entre elles décidera de tenter un "coup" en auto-édition, comme le font désormais des auteurs américains majeurs comme Stephen King, les chiffres seront (au moins) identiques.
A ventes équivalentes en numérique, un auto-édité sera libre de pratiquer des prix lui permettant de toucher nettement plus de lecteurs, tout en percevant plus de revenus que s'il était signé chez un éditeur. Il est donc intéressant, si l'on parle de numérique, de rester indépendant ou de garder ses droits.
Pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, ce post n'est pas contre le contrat d'édition, il décrit l'apparition d'un nouveau modèle économique autour de l'auto-édition numérique. Si vous voulez toucher le grand public, le papier est encore essentiel et les éditeurs traditionnels peuvent mettre votre livre sur toutes les tables des libraires de France, leurs équipes sauront vous accompagner dans le process d'écriture ou pourront obtenir des chroniques de journalistes pour faire connaître votre livre. Et si votre rêve est d'obtenir un prix littéraire, ils sont plus que jamais nécessaires, le jour où ces clubs fermés s'ouvriront aux auteurs qui ne sont pas du sérail n'est pas encore arrivé...
Il est cependant possible aujourd'hui de percer et de vivre grâce à l'auto-édition numérique, ce qui est tout à fait nouveau. N'abandonnez pas tout pour vous lancer dans l'écriture... seuls quelques "élus" y parviennent pour le moment. Si leur nombre augmente régulièrement et continuera de façon exponentielle, il faut avoir une histoire à raconter, savoir écrire, comprendre et jouer avec les règles parfois complexes de ce milieu, disposer de beaucoup de temps et surtout savoir s'entourer pour se professionaliser. Ce sera le sujet d'un prochain post.