La semaine dernière, les jeudi et vendredi 11 et 12 octobre 2018, se sont rassemblés les chefs d'État des pays francophones lors d'une conférence en Arménie pour la XVIIe édition du Sommet de la francophonie, tradition qui prend place un an sur deux. Le 14 mai 2017 est paru chez Iggybook un ouvrage de référence pour la défense de la francophonie intitulé ... et le monde parlera français, écrit par Marie Laure Poletti et Roger Pilhion, un livre qui tombe visiblement en plein dans l'actualité, le moment parfait pour nous de profiter de la parole des auteurs qui ont eu la gentillesse de répondre à nos questions.
Les 11 et 12 octobre 2018 ont accueilli le XVIIe Sommet de la francophonie en Arménie, conférence dont la thématique tombe en plein dans le sujet de votre livre. Quel est votre ressenti par rapport à cet évènement ?
Ce Sommet est un des grands événements de la francophonie institutionnelle. A ce titre, il est un excellent exemple de la dimension géopolitique de la francophonie et un bon révélateur des intérêts des différents pays appartenant à l’OIF.
Les péripéties et les rebondissements qui ont précédé le choix de la secrétaire générale, les tractations publiques ou souterraines illustrent à la fois l’importance de cette organisation et, sans doute, sa nécessaire évolution.
Depuis sa création, en 1970, par des personnalités non françaises et la création de la fonction de secrétaire général en 1997, l’OIF a connu trois secrétaires généraux, deux Africains (Boutros Boutros Ghali et Leopold Sedar Senghor) et une Canadienne d’origine haïtienne, Michaëlle Jean, première femme à ce poste et première personnalité qui ne venait pas du continent africain.
Avec la désignation, à ce Sommet d’Erevan, de Louise Mushikiwabo, Rwandaise, on renoue avec la tradition africaine, ce qui peut paraître naturel étant donné que 60 % des 300 millions de francophones dénombrés en 2018 vivent en Afrique. Cependant, le rôle qu’a joué la France dans ce choix, le ralliement du Canada et du Québec à la veille du Sommet ont soulevé des interrogations. Si l’on en croit les déclarations des représentants officiels français, le centre de gravité de la francophonie n’est plus ni à Paris, ni à Ottawa, mais en Afrique, mais les financements proviennent en majorité de France et du Canada et le continent africain est source de convoitise pour les principales grandes puissances.
Le bilan de l’OIF des quatre dernières années est reconnu dans de nombreux domaines, en particulier pour les actions en direction des jeunes et des femmes mais il fait aussi l’objet de critiques. Il sera donc intéressant d’observer, dans les deux ans à venir, avant la célébration des 50 ans de l’organisation, à Tunis, si l’OIF à laquelle on a souvent reproché de se prendre pour une « petite ONU » saura se poser les bonnes questions sur les élargissements successifs à des pays non francophones, sur les engagements par rapport à la langue française ou aux valeurs de la francophonie, sur les priorités de son action et sur le mode de gouvernance le plus efficace.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
Nous avons souvent dit, lorsque nous avons présenté notre livre, qu’il s’agissait d’un « cri d’alarme ».
Le projet du livre est, en effet, né d’une profonde inquiétude quant aux directions prises dans le domaine de la promotion de la langue française et quant aux moyens mis en œuvre.
Nous étions convaincus que la langue française restait un vecteur d’influence majeur pour la France, que le français, parlé bien au-delà de nos frontières, restait, en ce début du XXIème siècle, une des grandes langues de communication internationales et qu’il pouvait être appelé à se développer sensiblement dans les trente ans qui viennent sur le continent africain, à condition que la France et la Francophonie mettent en place des mesures d’accompagnement ciblées.
Nous avons donc conçu le livre à la fois comme un « manifeste » qui défend des idées et propose un travail de réflexion sur les enjeux politiques, économiques et culturels que constitue le français en tant que langue de diffusion internationale et la Francophonie et sur les atouts du français dans la mondialisation. Il se présente aussi comme un état des lieux assez complet sur la situation du français dans le monde et sur les nombreux acteurs de la francophonie.
Mais nous avions également un parti pris constructif et nous avons inclus des propositions pour définir une véritable politique prenant en compte des priorités géographiques et sectorielles et pour esquisser des stratégies de développement extrêmement pragmatiques, illustrées à partir d’exemples concrets qui montrent ce qui marche et ce qui ne marche pas et ce qu’il faudrait essayer de développer de façon pragmatique.
A qui s’adresse votre livre ?
Il s’adresse à plusieurs publics : un premier public, très étroit, de politiques et de décideurs mais aussi de journalistes, qui cherchent des informations étayées et des éléments d’appréciation ; un deuxième, de professionnels du français, étudiants, enseignants, universitaires et de personnes que ces sujets intéressent ; enfin, un troisième public, celui des professeurs étrangers qui veulent dépasser la perception de leur propre situation (le français est sur le déclin pour un Bulgare, il décolle ou s’envole pour un Chinois…) et qui ont besoin d’une vision d’ensemble pour situer leur propre expérience. Les informations qu’ils trouvent dans l’état des lieux présenté dans le livre leur permet de relativiser leur situation.
Quand et comment avez-vous commencé à vous intéresser à l’écriture ? Pourquoi et à quel moment avez-vous ressenti l’envie de publier vos écrits ?
Dans nos deux parcours professionnels différents, nous avions eu déjà de nombreuses expériences d’écriture qu’il s’agisse de rapports, de synthèses ou de matériel pédagogique.
Mais ce livre est une expérience particulière dans la mesure où c’est un livre de politique linguistique écrit par deux techniciens du français langue étrangère et de la politique de la langue. En même temps, c’est un livre qui prend en compte l’expérience professionnelle de quasiment toute une vie et qui veut être différent des ouvrages sur la francophonie écrits par des linguistes ou des sociolinguistes, des politiques (députés, sénateurs ou autres décideurs), des militants de la cause francophone ou des littéraires.
Pourquoi avez-vous choisi l’autoédition ?
Cela n’a pas été le premier choix, sans doute par « culture » professionnelle et parce que, pour au moins l’un d’entre nous, nous avions l’habitude de travailler avec des maisons d’édition, de produire et de suivre des projets éditoriaux.
Deux facteurs nous ont amenés à ce choix : la souplesse de la conception de l’ouvrage et la souplesse du calendrier. Nous n’avions pas envie de formater notre livre pour qu’il puisse entrer dans une collection existante et nous tenions absolument à ce qu’il puisse sortir avant l’élection présidentielle de 2017. Notre expérience professionnelle de l’édition nous a permis d’aller vite et de gérer nous-mêmes tous les aspects éditoriaux.
Comment gérez-vous la promotion de votre livre ?
C’est sans aucun doute le domaine dans lequel le soutien d’une maison d’édition manque le plus. Nous avions cependant l’avantage de traiter un sujet dans lequel les réseaux, institutionnels ou non, sont très nombreux et de pouvoir nous appuyer sur un carnet d’adresses construit au fil de toute une vie professionnelle.
Nous nous sommes donc servis de ces réseaux pour diffuser l’information en France et à l’étranger, pour organiser un lancement officiel, à l’Alliance française de Paris, pour présenter l’ouvrage dans des réunions, des séminaires ou des événements sur la francophonie, pour le faire figurer dans des bibliothèques numériques comme celle de l’Institut français.
Le point faible reste la diffusion en librairie. Certes, on peut commander l’ouvrage chez son libraire mais il faut déjà en connaître l’existence. On n’a pas le plaisir de découvrir le livre par hasard, en flânant dans une librairie, même spécialisée. C’est aussi la rançon d’une impression à la demande qui a l’avantage de ne pas mobiliser de stock.
Quels sont vos prochains projets d’écriture ?
Nous réfléchissons à une version plus grand public… chez un éditeur !
Que vous a apporté votre expérience d’écriture ?
Elle nous a d’abord apporté une grande satisfaction intellectuelle. La vie professionnelle, par son rythme, ne permet pas de prendre le recul de l’écriture. S’arrêter pour écrire et donc, pour réfléchir, faire une synthèse, dégager une vue d’ensemble représente un très fort investissement en temps mais aussi un intense plaisir intellectuel.
A cela, il faut ajouter qu’écrire un livre à deux voix, à partir de deux expériences professionnelles complémentaires, ajoute une dimension critique très stimulante.
Merci encore aux auteurs pour le temps accordé !
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